Projection privée |
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Fenêtre sur cour, c'était le film qui passait plus ou moins régulièrement le mercredi, vers les 13h-13h30, rien que pour moi.
Toujours le même film, ou plutôt toujours le même court (très court) métrage, toujours aussi délicieusement frustrant : toi qui ouvrais une fenêtre du bâtiment en face de celui où j'attendais le début de mon cours de grec.
La première fois, j'ai jugé avoir de la chance de pouvoir profiter de ce spectacle inopiné.
La deuxième fois j'ai aussi pensé qu'il s'agissait d'un spectacle inopiné.
Et la troisième fois.
Et la quatrième fois... Jusqu'au jour où je me suis dit que, tout de même, c'était étrange que l'inopiné se répête quasiment régulièrement, agréable mais étrange. Bon, j'avais été minable, en dessous de tout, je méritais bien éventuellement ce supplice de Tantale mais à ce point... Non pas que je ne méritais pas d'être taquiné à ce point mais je me demandais comment toi tu pouvais estimer à ce point "rentable" de perdre ton temps à taquiner un minable.
Mais bon, comme ta détermination me semblait toute aussi inébranlable qu'absolument inéluctable, et qu'à la moindre tentative de rapprochement, même erronée, je me faisais virer séance tenante, je profitais de celle hebdomadaire sans rechigner.
Je ne suis arrivé à la conclusion que c'était ma séance hebdomadaire à moi que parce que c'est le professeur qui assurait mon cours qui est arrivé à cette conclusion pour moi. Si je me trompe, il s'est trompé lui aussi.
Un mercredi comme un autre, j'attendais qu'il arrive, fermement planté derrière ma fenêtre, guettant voir si c'était une semaine avec ou sans, quand il est entré.
En Terminale, nous n'étions que deux élèves en grec. Dans la salle, il fallait être proche de la fenêtre pour voir la facade du bâtiment d'en face : depuis les bureaux, on ne la voyait pas. Je musardais donc toujours près de la fenêtre tandis que l'autre était à son bureau, ne se doutant pas de quoi que ce soit, pas plus que le professeur. Mais ce jour là, quand il est entré et que je suis allé m'asseoir, il a manifestement dû estimer suspect de toujours me trouver debout près de la fenête quand il entrait.
J'ai eu la surprise de le voir se mettre très exactement devant la fenêtre, pile là où j'étais quelques instant auparavant.
Il a scruté avec curiosité la facade du bâtiment d'en face, cherchant clairement qu'est ce qui pouvait justifier que je me tienne si souvent là, manifestement dans l'attente de quelque chose. Que pouvais-je donc avoir de particulier à regarder dans ce bâtiment d'en face ? Je n'étais pas inquiet : ce jour là, il ne s'était rien passé jusqu'à présent, c'était une semaine sans, il n'allait pas se passer quoi que ce soit juste maintenant. Sauf que je n'avais pas encore regagné ma place que, me retournant pour m'engager dans ma rangée, de là où j'étais, qu'est ce que je vois ? Pouf, la fenêtre magique qui s'ouvre juste maintenant... et mon film projeté dans toute sa splendeur.
Le professeur s'est retourné vers moi avec un petit sourire goguenard...
Comme nous n'étions que deux élèves il n'a rien dit (ouf...) mais il n'avait pas besoin de parler pour que je l'entende : [Alors sylvain, on mate les dortoirs des filles ?]. J'ai eu beaucoup de mal à garder ma contenance, d'autant que j'avais bien envie de dire "Non, je ne mate pas les filles, ni les dortoirs : je mate une fille en particulier, ce n'est pas tout à fait la même chose".
Au moins j'en ai conclu qu'il n'y avait pas que le hasard qui ouvrait la fenêtre magique, contrairement à ce que je croyais jusque là.
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