carte des USA - le trajet

Floride

Nous avons devant nous une highway - deux mille cinq cents kilomètres de ligne droite sur six bandes, trois à l'envers, trois à l'endroit - et, derrière, un policier de la route en moto, pas content du tout, qui nous sermonne parce que nous ne roulons pas assez vite.

On est prié de ne pas flâner, la route n'est pas pour les fainéants. Sinon, il nous faudra quitter la voie des riches pour le chemin boueux des écoliers, nous perdre dans les traversées d'agglomération, attendre le bon vouloir des trains aux passages à niveau.

Première rencontre de vaches dans un pré. C'est enfin l'Amérique en vacances. La Floride est un immense parc d'attractions entouré d'un océan qui ne ressemble plus à un océan, avec de tous côtés des îles qui n'en sont plus puisqu'une highway les relie à la terre, avec des plages innombrables plantées de palmiers et de hautes corbeilles à papier.

Miami est un Cannes qui a pris du ventre. Avec ces correctifs qu'il est interdit de s'y baigner (à cause des requins), interdit d'y manger (à cause des papiers gras) et interdit d'entrer sans payer.

Pourtant on se rue vers les plages car, dès que l'on quitte le bord de l'eau, l'ennui guette à tous les coins de blocs, se berce en rocking-chair devant tous les hôtels, s'empiffre de tartes et d'ice-cream à n'importe quelle heure dans le premier snack venu. Les Américains seraient les gens les plus malheureux du monde s'ils n'avaient inventé l'ennui pour les distraire.

Et que faire d'autre ? Pas de terrasses de café, pas de dancing, mais des bars avec orchestre où il est interdit de danser et de boire autre chose que de l'alcool, dans une lumière d'aquarium.

Ou plutôt de « Seaquarium » car ici cela s'appelle ainsi. C'est un cirque nautique où l'on peut voir des dauphins disputer une partie de basket-bail, sauter à dix mètres de haut pour saisir la cigarette que fume le Seadresseur, et des phoques faire les clowns dans l'eau aussi bien qu'ailleurs ils le font sur terre.

L'Américain en vacances fait le phoque : il vit dans l'eau. Il a toujours un bateau à moteur, quelquefois à voile (s'il est assez riche pour ne pas risquer de se faire traiter de pauvre), une piscine devant l'océan (il y en a huit cents à Miami) et l'océan devant sa piscine. Il a un petit panama et un gros cigare. Et il passe le plus clair de ses nuits à la pêche au thon ou au requin.

Lorsqu'il se fait promener par sa femme dans une longue automobile, dont la clé de contact est en or de dix-huit carats (comme celles qui sont présentées dans les vitrines des bijoutiers de la ville), c'est toujours vers une de ces jungles apprivoisées qui se visite sans descendre de voiture : « Jungle des singes », « Jungle des perroquets », « Jungle des reptiles », où des troupes de girls font leur numéro en même temps que les animaux. Il y aussi la « Jungle des orchidées », toute plantée de tulipes, et la « Jungle des enfants » où l'on ne voit que des grandes personnes. Enfin, il y a la « Jungle » des Indiens Seminoles, vivant le jour dans des huttes de feuilles de palmiers bâties sur pilotis et rentrant le soir coucher dans leur studio en ville. Ils perçoivent un dollar par visiteur et vendent des « souvenirs peaux-rouges » importés du Japon.

Pour le couple d'Américains que nous rencontrons à la plage, le Français, c'est un Indien qui serait trop pâle, vivant là-bas en Europe dans un pays sous-développé. Ils connaissent bien d'ailleurs : ils ont passé quarante-huit heures à Paris en revenant de Stockholm. Ils ont beaucoup voyagé, sans jamais découvrir une région qui ait la moitié du standard de vie du plus pauvre Etat des U.S.A.

- Comment, dit Jacques, vous ne connaissez pas la République d'Andorre ?

- Non.

Alors nous leur décrivons un pays de rêve où les buildings sont couverts d'or, où chaque habitant possède six voitures, cinq téléphones, quatre piscines et passe sa vie à appuyer sur des boutons, un jour avec la main droite, un jour avec la gauche, pour varier les plaisirs.

Sans se lasser, ils nous interrogent... Mais nous avons rendez-vous en face.

Etape précédente Etape suivante