Partis de Paris le 9 octobre 1958 avec leur 2 CV, Jacques Séguéla et Jean Claude Baudot y reviennent le 12 novembre 1959. Ils ont parcouru 100000 kilomètres autour de la Terre, traversant 8 déserts, 50 pays, passant 350 nuits à la belle étoile et 2 247 heures au volant.

Au cours d'un an et un mois de voyage sur les cinq continents, ils ont vécu les aventures les plus cocasses et les plus dramatiques, partageant l'existence des Touareg du Sahara, des clochards de San Francisco. Dévalisés à Johannesburg par la pègre des mines d'or, ils ont été pillés en Thaïlande par des pirates birmans qui les ont abandonnés dans la jungle, ligotés à un arbre. Ils ont traversé le Pacifique dans la cale d'un paquebot et passé à Honolulu une journée de milliardaire. Chargés par un éléphant au Congo, ils ont heurté, de nuit, un tigre royal près de Delhi... Perdus dans le Grand Désert Salé, Jean-Claude rendu aveugle par l'ophtalmie des sables, ils sont restés pendant quinze heures sans eau ni nourriture sous le soleil le plus brûlant du monde. Ils ont terminé sur une jante la traversée du terrible désert noir du Béloutchistan, après 28 heures de peines. Ils ont passé à gué la vallée de l'Indus inondée, sondant l'eau devant eux durant une journée entière.

Tout cela, ils le content dans ce livre plein de charme, dont le ton renouvelle le genre du livre de voyage.

C'est la « nouvelle vague » de l'aventure.

Le présent extrait relate la traversée des Etats-Unis.

(couverture du livre) La terre en rond

carte des USA - le trajet
 
New York 13-4-1959
Miami  
La Havane 16-5-1959
New Orléans 24-5-1959
Canyons du Colorado  
Las Vegas  
Désert du Névada  
San Francisco 17-6-1959
Los Angeles  

Après la Frontière Mexicaine...

La route est large, droite, monotone et désespérante. Nous mettons au point un dispositif de pilotage semi-automatique en plaçant sur la pédale d'accélérateur une brique ramassée sur le bas-côté. Nous y fixons une ficelle dont l'extrémité est à portée du conducteur. Ainsi, l'accélérateur bloqué au plancher, il suffit pour ralentir de tirer sur la ficelle. Elle soulève la brique et soulage la pédale. ...San Antonio : le Texas, ses puits de pétrole, ses shérifs, bottes aux pieds et colts sur les hanches, circulant dans de larges limousines à sirènes en regrettant la belle époque... Little Rock en Arkansas : de la bauxite et un gouverneur qui veut empêcher les petits Noirs d'aller à l'école... Cincinnati, autrefois capitale du cochon en conserve, du temps qu'on l'appelait Porcopolis et qu'elle était encore la rivale de Chicago.

...Sans arrêt, nous roulons, comme fascinés par la route américaine, plate, rectiligne, jalonnée de panneaux-réclame et d'enseignes au néon. Chaque poste d'essence est flanqué d'un drug-store ouvert nuit et jour : « 24 hours service. » II suffit de commander n'importe quoi, sans descendre de voiture, pour qu'on vous l'apporte instantanément : frites, « hot-dogs », poulet frit ou en salade, « ham and sweets » (jambon de Virginie fumé au miel, cuit au four, arrosé de sirop d'érable), « Doughnuts » (gros beignets en anneau), tarte aux pommes ou aux airelles, le tout livré emballé avec des serviettes et des couverts en matière plastique : assiette, cuiller, fourchette et couteau. Pour finir : la « Banana split », banane glacée et crème chaude au chocolat, présentée dans un petit bateau, en plastique aussi, qu'on donne à son gosse pour qu'il joue avec et se tienne un peu tranquille jusqu'à l'arrivée.

Tout est prévu, organisé, minuté dans le détail. Dans une Station Service, une machine automatique débite, par le même tuyau et pour le même prix, selon le choix du client, des gobelets de chocolat ou de café, avec ou sans lait, avec ou sans sucre, chaud ou glacé.

Nous croisons ou nous sommes doublés par de nombreuses voitures, des motards qui patrouillent, tout raides sur leur selle, l'antenne de radio sifflant au-dessus d'eux... Et les « Greyhound », ces luxueux bus à deux étages, toit de plexiglass, couchettes, w.-c., air conditionné, qui traversent les Etats-Unis comme des fusées d'aluminium, frappées de l'insigne de la compagnie : un lévrier.

Le temps passe, mais il se couvre, la température baisse. La nuit, il gèle et le jour, il neige : c'est le printemps.

Au loin, dans une aura incandescente : Pittsburgh sous la lune, comme un volcan près d'exploser. Des lueurs mauves, rouges, jaunes illuminent la nuit et colorent la neige. Pittsburgh, ville en feu dans l'Etat de Pennsylvanie : la plus grande aciérie du monde.

Il fait encore plus froid. Verglas. Plusieurs camions gisent renversés au bord de la route. Nous enfilons nos tenues himalayennes et nous nous mettons avec la 2 CV à doubler les énormes voitures américaines qui ne savent plus où poser les pneus.

2CV, Pennsylvanie, 1959 : Nous enfilons nos tenues himalayennes...
© Baudot / Séguéla - 1959

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